Le fond du puits

Par Moskito

Puits

J'ai peu de souvenirs d'enfance. Cependant, quelques uns me reviennent parfois. Ce jour-là, alors que je passais dans la cour principale du Monastère, je me revis, gamin, tentant désespérément de me hisser sur la margelle du puits. Combien de fois suis-je rentré chez moi sale et crasseux, mon pantalon troué par mes chutes. Ma mère me disait, la curiosité est un vilain défaut. Mais moi, inlassablement, je tentais de grimper sur cette margelle, afin de voir ce qui se trouvait au fond de ce puits. Et depuis toujours, j'ai gardé cette frustration, de n'avoir jamais su ce qu'il renfermait comme trésors cachés…

Ce jour-là, donc, je passais devant le puits du Monastère. Et j'eus l'irrésistible envie de regarder au fond. Je m'en approchais, et me penchais par dessus. Seulement, il faisait plutôt sombre, et je ne distinguais pas grand chose, et cependant, il me semblait que là, je pouvais vaguement apercevoir…

Ma mère avait bien raison. La curiosité est un vilain défaut. Sans même me rendre compte de ce qui m'arrivait, je glissais et tombais au fond du puits. Heureusement, celui-ci n'était pas trop profond, et je ne m'amochais pas trop, malgré quelques égratignures. Après avoir repris mes esprits, car ma chute m'avait quand même un peu sonné, je réfléchissais à un moyen de me sortir de ce trou. Les parois étaient trop lisses et trop glissantes pour remonter seul. Quant à demander de l'aide, il ne fallait pas y penser. J'avais une réputation à défendre, tout de même ! Et puis, à force de réfléchir, je me mis à tâtonner dans le noir, et je commençais à percevoir un moyen de m'en sortir…

C'est alors que j'entendis une voix, toute proche, qui me dit “Bonjour à toi Moskito ! Je suis RamRez, un ami de ThaMors.” J'avoue avoir sursauté sur le moment. Je me croyais seul au fond du puits, et je ne m'attendais pas à y trouver de présence humaine autre que la mienne. En fait, j'étais tellement absorbé dans mes réflexions, que je ne m'étais pas aperçu qu'il avait connu le même sort que moi. Je ne l'avais même pas entendu tomber. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, et abandonnant pour un moment mon projet pour me sortir du puits, je lui demandais s'il avait par hasard un jeu de cartes sur lui. Comme il n'en avait pas, avec la pointe de nos épées, nous nous mîmes à jouer au morpion sur les murs du puits. Je puis me vanter de l'avoir battu à plate couture à maintes reprises. Il faut dire que j'avais déjà beaucoup d'expérience. Et je ne cessais de le battre, enchaînant les victoires.

Ma mère avait un autre proverbe. L'un d'eux était “Jamais 2 sans 3”. Décidément, ma mère a toujours raison. Car alors que RamRez m'avait mis en difficulté sur une partie de morpion, tout d'un coup, je sentis comme une présence, et, mes sens aux aguets, j'entendis un léger sifflement, comme le bruit d'un objet qui tombe. En fait d'objet, c'est Elender qui vint nous rejoindre, me bousculant au passage dans l'eau croupie du fond du puits. Trempé, je me redressais, furieux, et me mit à crier vers le rond de lumière qui, en haut, désignait l'ouverture du puits : “Ça va pas s'arrêter non ? Et puis quoi encore ! Déjà que seul, j'étais à l'étroit ; à deux, ça devient invivable ; mais à trois, alors là non, c'est pas possible ! Le prochain qui descend, je le renvoie à coups de pieds dans le derrière ! Ça vous apprendra ! Et encore, si celui-ci avait pensé à amener un jeu de cartes, à trois, on aurait pu se faire un tarot, mais non, même pas… Et le morpion à trois, je vous raconte pas… Pfffff…” Mais aucune voix ne vint en réponse, et nous dûmes passer quelques heures ensembles, seuls au fond du puits. Certainement, quelqu'un penserait à nous au bout d'un moment, et nous ne serions pas obligés de nous nourrir de rats. Et pour tuer le temps, j'imaginais toutes sortes de scénarios, des plus horribles aux plus cocasses. Tantôt nous mourrions de faim, oublié de tous au fond de ce puits miteux. Tantôt nous étions aspergés par un liquide jaunâtre venu non pas du ciel, mais du pantalon d'un jeune Hobbit farceur. Enfin, je m'endormis tant bien que mal, et les Hobbits et les rats peuplèrent mon sommeil pendant quelques heures.

Notre épopée se termina lorsqu'un sauveteur inconnu fit descendre une corde dans le puits. Étant l'ainé, je priais mes deux compagnons d'infortune de ressortir les premiers du puits, ce qu'ils firent. Puis, reprenant ma réflexion interrompue par les deux lascars, je réfléchissais un moment…

On me revit quelques jours plus tard à la Baie. Si ma mère avait été présente, elle m'aurait encore une fois grondé, car mon uniforme était encore trempé par l'eau croupie du puits, et l'odeur des rats a tendance à être plutôt tenace. Mais j'étais heureux : j'avais réussi à vaincre cette frustration qui me hantait depuis mon enfance. J'avais atteint le fond du puits.

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